Ma promesse en héritage - Paoline Ekambi & Liliane Trévisan
Ma promesse en héritage
Paoline Ékambi & Liliane Trévisan – Éditions Amphora –
Avril 2024
Parce que le basket-ball est toujours un jeu d'adresse et
que la vie devient parfois un sport de combat.
L'inceste est au centre de ce témoignage émouvant, mais sans
concessions. L'inceste paternel, un tabou ultime sur lequel viennent se greffer
: la trahison (de l'enfance), la violence physique et morale, la manipulation, l'oppression
et de l'autre côté de ce mur de l'abjecte, se révèlent l'amitié, la fraternité
et le combat ! Combat, terme si souvent galvaudé qui retrouve dans ce livre un
sens… proprement vital.
Reste que la plume de Liliane Trévisan qui conjugue le
parcours de Paoline Ékambi à la première personne parvient à transporter le
lecteur au-delà des mots, fussent-ils percutants et nécessaires. Construit
comme une enquête intime menée après la disparition des deux parents de Paoline,
"Ma promesse en héritage" prend le lecteur par le bras de la première
à la dernière page.
Pour ceux qui ne suivent pas le basket-ball ou n'en
connaissent pas l'histoire, jusqu'à récemment, Paoline Ékambi a détenu le
record du nombre de sélections en équipe de France, soit 254 dont une large
partie en qualité de capitaine. Ce seul chiffre pose une carrière et en
corolaire il montre l'investissement sans failles d'une jeune fille talentueuse
qui deviendra une "figure" de son sport. Mais, le terrain, l'INSEP,
les compétitions internationales ne représentent que la partie lumineuse de ce témoignage
(malgré des révélations tardives et moins glorieuses de la part de certains
membres de la grande et belle famille du basket). Reste la partie éminemment sombre,
celle qui s'est jouée entre les quatre murs de ce qui a vite ressemblé à une
prison familiale. Face à un père malsain et manipulateur, face à une mère
complice et sans pouvoir compter sur le soutien de frères, eux aussi sous le
joug, Paoline l'enfant puis Pao l'ado ont combattu avec une force intérieure incroyable.
C'est au moment où le pire se profilait, où elle ne voyait plus d'issue à son
calvaire que son appel au secours a enfin été entendu. Qu'on ne s'y trompe pas,
sa survie - puisque c'est bien de cela dont on parle - elle la devra d'abord à
elle-même, beaucoup à sa volonté et un peu à son talent balle en main. Rien ne
lui sera donné et si elle a pu briser le carcan, il est des blessures si
profondes qu'elles cicatrisent mal.
De ce livre, il ne faut pas attendre de réponses définitives
pas plus que de recettes miracle et encore moins de ses fameuses leçons de vie
dispensées à tout-va. Il n'y a dans ses lignes que la vérité crue d'une enfance
déchirée, trahie par ceux-là même qui auraient dû la protéger. Mais sans
chercher très loin, on pourra trouver des motifs d'espoir. Dans cette histoire,
pas de complainte ni de dépôt de plainte, mais une rage de vivre salvatrice,
celle de gagner sur le terrain, celle d'aller toujours plus haut.
Convoqué par l'actualité pour un fait divers sordide ou un
projet de loi en discussion, l'inceste se décrit à mots pesés dans les articles
de presse ou les journaux télévisés. Ne pas choquer d'un côté. Ne pas se
vautrer dans la fange du sensationnalisme de l'autre. Si bien que ce crime ne
demeure pour beaucoup qu'un concept, aussi horrible soit-il… sauf pour celles
et ceux qui en sont les victimes.
Si "Ma promesse en héritage" ne devait posséder
qu'une seule vertu, ce serait de mettre toute la lumière sur un tabou dont on pourrait
croire que le destin est de rester plongé dans les tréfonds de nos consciences.
Ce magnifique témoignage, honnête, sans pathos est là pour
nous ouvrir les yeux.
Extrait - Page 71
Je n'y entends rien. Car quand je lui demande s'il aime
ma mère, il me répond évasivement : "Mais oui, j'aime la mère de mes
enfants." Sa réponse me déçoit beaucoup. Je m'imaginais l'amour bien plus
fort, bien plus beau, et bien au-dessus de tout ça. Même si je n'ai pas vraiment
grandi bercée de contes de fées et d'histoires romantiques, où des chevaliers
servants sauvent des princesses en détresse, quelque chose au fond de mon âme
d'enfant me dit que mon père a une drôle de conception de l'amour.
Dans cet environnement familial bancal et déstabilisant,
je me réfugie de plus en plus dans mes rêves, toute seule dans ma chambre, mon
abri. J'imagine une autre vie, mon esprit pousse les murs de cet univers étroit
où mes parents m'enferment et m'imposent leurs choix pour m'empêcher d'être
moi-même. Plus ils referment sur moi leur étau, plus une soif d'évasion, un
sentiment de quête de liberté germent en moi, dans ce quotidien aussi morne que
stressant, même si, à tout prendre, seule la routine des jours avait quelque
chose de familier et rassurant.
La routine, c'est mon père qui part travailler le matin,
et comme tous les matins, de ma chambre je l'entends saluer ma mère d'un "À
ce soir !" invariable.
Mais, ce jour-là, la routine va se briser.
Habituellement, il ne passe jamais dans ma chambre en quittant l'appartement.
Mais ce matin-là, quelque chose ne va pas.
Post-Scriptum personnel
De mémoire d'enfant, on lutte toujours contre nos tyrans de
sang à armes inégales. On cède sous la force et si c'est possible, on s'échappe
d'une manière ou d'une autre. Si j'emploie ce "on", c'est parce que
comme beaucoup, j'ai dû affronter la violence dans mon enfance et mon
adolescence.
Rien de comparable au calvaire de Paoline Ékambi certes,
mais lors de notre seule rencontre à Chambéry lors de la rédaction de son livre-témoignage,
c'est elle qui a achevé de me déciller les yeux. Devant moi, elle a pointé l'anormalité
du traitement que j'ai subi par un père infiniment plus violent que je ne l'ai
cru pendant longtemps. Alors que j'exprimais la sorte de normalité que
représentaient à l'époque (nous avons le même âge Paoline et moi) les rafales
de coups de poing assénés sans retenue dans ma gueule de gosse de 12 ans ou les
coups de ceinturon de marine distribués sur tout le corps pour des raisons
futiles, Paoline m'a de suite considéré comme une victime. Moi, qui ne pouvais
que compatir sur son sort, voilà qu'elle me sortait définitivement du déni.
J'avais toujours édulcoré la violence, je l'avais relativisée en me persuadant
que c'était dans l'air du temps, que d'autres de mes camarades devaient eux
aussi composer avec des pères violents, plein d'une culture ou d'une enfance à
la dure qui leur servait d'alibi.
Paoline est parvenu à s'échapper par le sport pendant que je
me contentais de m'évader dans les rêves. Un gamin toujours "ailleurs"
avec pour seule quête existentielle : trouver quelque part le plein de douceur
et d'amour.
Désormais, et comme le dit si bien cette chanson scandée à tue-tête
dans les travées d'Anfield Road, le stade mythique de Liverpool :
You'll never walk alone !
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