Histoire des chiens de traîneau Tchouktches
Conditions préalables historiques et climatiques de l'apparition d'une population
de chiens de traîneau sur les rivages de la péninsule de Tchoukotka
Par Elena Potselueva - Russie
Traduction de l'anglais d'Eric Tchijakoff
Je remercie Vitaly Yastremsky (Toko), qui a archivé et collecté
des données sur la famille Karaev, dont l'histoire contient une foule d'informations
intéressantes à propos de la vie dans le grand Nord.
Éléments climatiques
Globalement, le climat de la Tchoukotka est humide, froid avec
une abondance de brouillards. Béring a écrit: «Le climat y est difficile et
insupportable". La péninsule a un isotherme à -10 ° C et elle située entièrement
dans une zone de permafrost.
Les facteurs déterminants du régime de températures de la
péninsule de Tchoukotka ne tiennent pas à l'importance des gelées d'hiver, mais
plutôt aux basses températures qui règnent toute l'année, car les températures matinales
moyennes relevées en juin ne sont que de 5-6 ° C et le soir on tombe entre -1
et -2 ° C. En outre, le nombre total de jours avec des températures inférieures
à zéro est considérable avec un total de 279.
Le nombre de jours de brouillard est de 107 par an (29,4%)
et on compte aussi 94 jours de blizzard (25,8%). Les journées claires, lorsque la
couverture du ciel est inférieure à 50%, sont au nombre de 36 par an (9,8%) et
les jours avec des nuages couvrant 8/10 du ciel sont au nombre 155 par an
(42,6%).
Les vents forts rendent le travail et les déplacements dans
la Tchoukotka difficiles. Le nombre de jours avec des vents forts (7 degrés sur
l'échelle de Beaufort) est de 114 (32,3%) par an (A. Kaltan, "Résultat
d'une enquête de la péninsule de Tchoukotka, de 1930 à 1931, pour le siège de
la protection des frontières, Extrême-Orient).
Mode de vie sur les rivages de la Tchoukotka
Depuis des temps immémoriaux, la Tchoukotka n'était pas
seulement peuplée de chasseurs primitifs; elle avait aussi servi de pont
terrestre pour les personnes en provenance d'Amérique, le détroit de Béring s'étant
retrouvé à sec à plusieurs reprises. Les individus allaient et venaient, mais
les plus forts et les plus habiles d'entre eux se sont installés sur les rives
de l'Arctique et de l'océan Pacifique. Ils ont trouvé là des ressources
alimentaires illimitées grâce à la chasse aux mammifères marins.
La moitié des huttes en terre des populations qui vivaient
sur ces rivages dans la première moitié du premier millénaire de notre ère ont
été construites à partir de fanons de baleines. L'abondance de ces grands
mammifères utilisés par les autochtones et par voie de conséquence par leurs
chiens de traîneau, est confirmée par le fait que la terre entre les huttes
était complètement recouverte d'os scapulaires de baleines. Malgré la
détérioration notable du climat, la grande disponibilité de cette ressource alimentaire
de base ne poussait guère les gens à quitter cette terre d'abondance. Ce
faisant, ils ont dû améliorer leurs maisons ainsi que leurs outils de chasse et
ils ont fini par trouver le seul moyen de transport possible en utilisant des
chiens de traîneau.
Lorsqu'enfin ils se sont dispersés depuis leur région
d'origine vers leurs territoires actuels, les tribus esquimaux d'Asie,
d'Amérique et du Groenland ont apporté avec eux leur culture paléo-arctique et
leurs chiens. Ce sont ces mêmes chiens qui aident les habitants de l'Arctique
dans leur vie le long des mers arctiques. Le plus petit de ces chiens de
traîneau évoluant sur ces rivages était le chien de traîneau de la Tchoukotka.
La réponse à la question «pourquoi lui?» réside dans les
conditions climatiques de cette région. Ici l'hiver dure 9 mois et les 3 mois
restants ne ressemblent pas vraiment à l'été. La plupart du temps on est soit au
printemps ou à l'automne, et l'été n'est réellement là que pendant 2 ou 3
semaines. De telles conditions rendent l'élevage difficile.
Au début du 20e siècle, 2 ou 3 familles s'établirent le long
du rivage de la péninsule de Tchoukotka, entre le golfe de Cross et Ion. Cela permettait
à un voyageur en traîneau à chiens de s'arrêter la nuit, de profiter du confort
d'un environnement familial et réduisait de cette manière les risques liés à un
long voyage dans des conditions rigoureuses. Ainsi, l'hospitalité coutumière
des peuples Tchouktches et Esquimaux a facilité les déplacements hivernaux dans
la région, l'hôte d'un soir se faisant une obligation de nourrir l'invité et
ses chiens. En conséquence de quoi, cela a aussi permis aux voyageurs de transporter
moins de matériel et de nourriture. L'élevage de rennes Tchouktches* (*de la
Tchoukotka) a également bénéficié des produits de la chasse aux animaux marins.
Parmi ces produits figurent les
vêtements, la célèbre viande de morse ("kopalkhen") ainsi que la
graisse de phoque utilisée à la fois comme huile de lampe et pour le chauffage domestique.
Les habitants de ces rivages ont utilisé des peaux de cerfs pour confectionner
leurs vêtements, pour améliorer le confort intérieur de leur maison ou pour des
usages les plus divers. Par ailleurs, la viande fraîche de cerfs était
considérée comme un met d'excellence. Les éleveurs de rennes Tchouktches
venaient rarement en bord de mer pour commercer car le renne ne trouvait pas à
se nourrir sur place. Par conséquent, le bon fonctionnement du fret maritime reposait
sur les chiens. Pendant de son expédition en 1878-1879, Nordensheld a décrit
dans "Vega", le littoral de la Tchoukotka alors qu'il voyageait en
traîneaux à chiens. En dehors des jours consacrés à la pêche, les autochtones
se déplaçaient sur les rivages de la mer Arctique pour faire du troc. Quant à l'élevage
des rennes, il s'est fait sans utiliser de chiens d'élevage. Par ailleurs, il
n'y a pas eu de reproductions fortuites de chiens durant ces rencontres
commerciales. Sur ces rivages, la population de chiens de traîneau est resté
pure jusqu'au milieu du 20e siècle en l'absence d'autres races de chiens. Seuls
les chiens de traîneau de la rivière Kolyma et de la rivière Anadyr pénétrèrent
dans cette région. Toutefois, compte tenu de la castration des chiens de
traîneau, il n'y a pas eu de mélange de masse comme cela est arrivé dans les
régions situées plus au sud. À la fin du 19e et au début du 20e siècle, ce
qu'on peut appeler des "chiens d'intérieur" ont commencé à faire leur
apparition. Par exemple, Tikhonenko découvrit au Cap Chaplin, un genre de
teckel japonais. Celui-ci devait provenir à l'origine d'un navire japonais.
Cependant et en général, ce type d'accouplement était rare;
la population de chiens de traîneau a été protégée par la rudesse du climat.
Seuls les chiens bien adaptés pouvaient survivre. Peu à peu, Esquimaux et
Tchouktches ont commencé à construire des maisons en bois flotté, os de morse
et peaux de daim et au 19ème siècle, il est de notoriété qu'ils ont construit
le Yaranga. En 1779, le gouverneur de
Sibérie nommé Chicherin a signalé à Catherine II: «les Tchouktches installés
près de la mer, ne possède pas de rennes; ils se déplacent sur des traîneaux
tirés par des chiens. Ils font des yourtes, creusées dans la terre, en bois
qu'ils recueillent sur la plage ".
Le Yaranga (tente rigide) des Tchouktches nomades ou
sédentaires possédait généralement une structure similaire, mais dans des proportions
variables. Les Tchouktches des rivages ne déplaçaient leur Yaranga qu'en de
très rares occasions. Il en résultait que celui-ci était de plus grand
diamètre, en particulier dans sa partie intérieure. Souvent, sa taille était
équivalente à celle d'une vaste pièce, et notamment en prenant en compte sa partie
extérieure plus froide, que les voyageurs russes comparaient aux cours couvertes
des maisons du nord de la Russie. C'est dans cette partie extérieure que les
gens stockaient nourriture et matériel et de ce fait, les chiens ont été
autorisés à l'intérieur lors des périodes de blizzard. La nourriture était
également préparée ici et les invités y étaient reçus. C'était aussi un endroit
pour dormir et - selon les voyageurs - les chiots étaient gardé là pour
"divertir les enfants." On a appris aux chiens à bien se comporter lorsqu'ils
se trouvaient à l'intérieur et à sortir pour faire leurs besoins.
Baleines et Corsets
À partir du milieu du 19ème siècle, la chasse des mammifères
marins a décliné. Dans son carnet de bord A. Kaltan livre une estimation des
chiffres de chasse sur plusieurs décennies.
En 1905 (année de la rédaction du carnet) 25 baleines
seulement
10 ans avant - 40
baleines
20 ans avant - 60 baleines
50 ans avant - 200 baleines
La famine a fini par toucher les rivages ....et la mode
féminine des corsets était à blâmer. À partir du milieu du 19ème siècle, 250
navires baleiniers tuaient jusqu'à 3000 baleines dans les mers d'Okhotsk et de
Barents. Ces baleines ont été prises sur les populations qui migrent pendant la
période printemps / automne près des rivages de la péninsule de Tchoukotka.
Après que l'Alaska a été vendu aux États-Unis, la pression exercée sur les
ressources vives de la Tchoukotka s'est transformée en une activité d'extermination
massive. Par exemple: en 1885, depuis les rivages de la Tchoukotka, 35 navires
étrangers ont acheté pour 120.000 Livres de défenses de morse. Le morse a été
chassé avec par armes à feu et jusqu'à 70% des individus blessés ont été
perdus. Des populations entières de morses et les phoques qui venaient se
reproduire dans ces eaux depuis des centaines d'années ont été totalement
exterminées. Cela a entraîné la famine de la population locale. Par le passé Tchouktches
et Esquimaux s'étaient adaptés à la dégradation du climat et avaient résolu
leur problème de transport grâce aux chiens de traîneau, mais ils ne pouvaient
pas résister à la disparition de leurs ressources alimentaires. Les villageois
du détroit de Béring ont moins souffert, mais au nord du Cap Severny (désormais
Cap Schmidt) le nombre de Yarangas a rapidement diminué.
À la fin du 19e et au début du 20e siècle, le chien de
traîneau Tchouktche a acquis une nouvelle fonction. Avec l'introduction du
moteur à combustion interne, les petits navires étaient désormais capables de
manœuvrer contre le vent et les plaques de glace. En conséquence de quoi, une
nouvelle vague de commerçants est venu à Tchoukotka. Sur la liste des articles les plus vendus on
trouvait les peaux de renard polaire, les phoques barbus, les phoques, les défenses
de morse, les os de baleine et les peaux d'ours polaire. Les chiens de traîneau
ont également été utilisés pour le transport de ces marchandises et plus tard
comme géniteurs du Husky sibérien. Les Tchouktches des rivages et les éleveurs
de rennes de l'intérieur se sont également servis des chiens de traîneau pour voyager
le long des côtes. Sverdrup a décrit la technique d'élevage en vigueur lorsque
les grandes yarangas étaient laissées en place au village tandis que les jeunes
voyageaient avec le troupeau, utilisant des tentes légères pour dormir. Ainsi,
durant la période d'hiver, des formations de chiens de traîneau parcouraient la
côte à plusieurs reprises pour le commerce des marchandises et des denrées
alimentaires dont ils avaient besoin. Cela a entraîné un accroissement de La
demande de chiens de traîneau mais leur élevage n'a pas suivi cette demande. Les
difficultés climatiques ont été encore aggravées par les famines hivernales.
Les chiens de traîneau de la rivière Kolyma et de la rivière Anadyr sont apparus
car même dans les années 1930, selon les descriptions de Tikhonenko, des
centaines de chiens naissaient chaque année en Tchoukotka. Cela est à la fois
révélateur de la forte demande pour les chiens, mais aussi du taux de mortalité
élevé chez les chiens mal adaptés au climat local, comme cela est arrivé avec le
groupe de chiens de la rivière Enissey appartenant à Amundsen.
Amundsen a perdu tous ses chiens en un seul séjour et il a
écrit à ce propos que ce voyage n'en valait pas le prix. L'année suivante, en courant
sur la glace de mer, les deux chiens restants de l'équipe de Sverdrup ont rapidement
blessé leurs patins, ceux-là même qu'ils avaient endommagés pendant l'hiver précédent.
Cela donne un aperçu des conditions de vie des chiens de la Tchoukotka.
Sverdrup a également expliqué que pendant son expédition, il devait souvent
renoncer à voyager le long de la rive orientale. Le vent était si fort que les
chiens ne parvenaient pas à tenir sur leurs pattes. Pendant les 68 jours et 1870
km effectués, il s'est retrouvé 25 jours à l'arrêt complet.
Sur des photos prises au 20e siècle, on peut voir des chiens
de traîneau de la Tchoukotka d'un type assez homogène. Sans aucun doute,
appartenaient-ils à des gens soucieux de planifier l'élevage de leurs chiens.
On peut aussi voir d'autres chiens de types très variés. Ce serait là une
conséquence de l'élevage non planifié et des épidémies. Les épidémies affectaient
les populations humaines aussi bien que les chiens. La première clinique
vétérinaire de Tchoukotka est apparue en 1929. Tikhonenko décrit bien l'état de
la population des chiens de traîneau dans son livre "Chiens de traîneau de
la Tchoukotka " (en russe): "Au cours de mes 7 années de travail sur
la péninsule de la Tchoukotka, j'ai étudié 651 élevages de chiens Tchouktches
et Esquimaux et observé 7.000 chiens; et je suis devenu convaincu que l'élevage
de chiens s'effectue de manière empirique sur toute la péninsule de la Tchoukotka.
L'absence de races pures de chiens peuvent être attribués au fonctionnement déficient
et au caractère hasardeux de l'élevage ". En outre, il fait observer que ces
chiens qui étaient inadaptés aux conditions locales provenaient de l'Anadyr et de
la rivière Kolyma et que "les chiens équivalents de type Esquimau du
nord-est de la Sibérie (Tchoukotka) peuvent produire une espèce pérenne disposant
à la fois d'une force exceptionnelle ajoutée à l'endurance et la vitesse de course."
Il en a apporté les preuves au cours de son travail sur les chenils de deux
bases, la base Tchoukotka à Lavrentia Bay et la base Chaunsky au cap Shelagsky.
Les chiens et les Soviétiques
Les années 1930 ont constitué un point de rupture dans la
vie en Tchoukotka. Auparavant, les autorités soviétiques ne faisaient qu'y passer,
mais ils ont commencé à s'y établir. Dans un premier temps, cela a affecté la
vie des peuples du bord de mer. On découvre à travers le récit de P. Ivanov,
1925-1926, que le Comité révolutionnaire de la région de Tchoukotka traite les
Esquimaux et des Tchouktches de la région du littoral d'"Américanophiles".
Ces gens-là étaient intéressés par le fret venu d'Amérique et en été, ils
travaillaient sur les navires américains. Qui plus est, bon nombre d'entre eux avaient
visité ou vécu en Amérique et parlaient fort bien anglais. Le cap Dejnev et ses
environs comptaient de nombreux comptoirs commerciaux ainsi que la plus importante
des colonies appelée: "Ouelen". Celle-ci comprenait 35 yarangas et
quatre maisons en bois. Les accords avec la société américaine Swainson sur les
droits commerciaux exclusifs en Tchoukotka ainsi que ceux signés avec "Dalgostorg",
qui a fourni des biens du Kamtchatka, se révélèrent être une erreur. La mauvaise
connaissance des besoins de la population locale entraîna une hausse des prix
des produits de "Dalgostorg" alors que le produit de la vente de peaux
aux américains couvrait à peine le coût des munitions.
Il en résulta un besoin urgent de pousser les gens du
littoral à prendre parti pour les autorités soviétiques. Les principales
divergences se concentraient sur les chiens de traîneau. L'organisation des
autorités des colonies devait répondre aux exigences des "comités" et
des "cellules" avec leurs réunions sans fin et les nombreux voyages effectués
par un nombre considérable de personnes. Traditionnellement les déplacements en
Tchoukotka étaient sécurisés par le fait de pouvoir trouver gite et couvert
offerts pour la nuit et d'avoir aussi de la nourriture gratuite pour les
chiens. La mise en place de restaurants (payants) pour les voyageurs était
contraire aux coutumes du peuple Tchoukotka: pourquoi devraient-ils donner de
l'argent pour leur repas et pour la nourriture de leurs chiens? Ivanov a écrit
dans son journal: «Si ici, dans un yaranga rouge, un indigène ne pouvait trouver
repas et chaleur, il préférait retrouver sa tribu qui devrait alimenter ses
chiens et qui lui dirait le matin: les semblables qui arrivent chez nous par
leurs propres moyens, nous avons le devoir de les nourrir, eux et leurs chiens.
Mais voilà, nous n'avons pas de viande et nous allons bientôt mourir de
faim." En réponse de quoi Ivanov suggère: "l'hôte d'un yaranga rouge
devrait avoir 1) une chambre propre et spacieuse; 2) du thé chaud, du pain et
du sucre gratuitement; 3) de la nourriture pour les chiens, également gratuite;
4) une personne disponible avec qui il serait possible de parler de la
politique, du commerce, du gouvernement soviétique, de la politique nationale
du Parti communiste, etc…, etc… "
Dans l'opinion générale, le chef de la base de Tchoukotka
qui avait dit que les chiens de traîneau en Tchoukotka n'étaient pas
nécessaires car ils seraient rapidement remplacés par des traîneaux motorisés,
fut bientôt déclaré comme ennemi public. Toutefois, avant que la population
locale de chiens ne commence à décliner, elle est restée en bonne forme durant
plusieurs décennies. Sur les rivages de la péninsule de Tchoukotka, depuis
Golfe Krest jusqu'à Aion, il y avait quelques 800 yarangas. Les Esquimaux et les
Tchouktches qui vivaient là ont gardé leurs chiens, lesquels ont été décrits à
travers les standards du Husky sibérien comme «capables de courir sur de
longues distances". Cet état de fait a été dicté par les besoins
économiques de la Tchoukotka depuis la fin du 19e siècle jusqu'au début du 20e.
Commentaires
Enregistrer un commentaire
Votre avis, votre commentaire est toujours le bienvenu sur Les pages du Tchi...