Libertés plurielles autour d'un burkini - Tribune de Jacques Variengien


Libertés plurielles autour d'un burkini


Cette histoire de piscine à Grenoble est finalement très intéressante du point de vue théorique, et donc pratique. Si l’on accorde aux mouvements de gauche qui soutiennent l’Alliance Citoyenne à l'origine de cette protestation, une logique (il faut toujours le faire), alors il faut chercher ce qui nous divise. Ces mouvements sont antifascistes, antiracistes, contre l’antisémitisme (discutable je vous l'accorde ), on devrait donc légitimement se retrouver. Or ce n’est pas le cas et je le déplore et ne m’y fait pas. Après réflexion, il me semble que ce qui nous sépare, a minima, est la compréhension que nous avons de la liberté de conscience.


- La liberté de croire ou de ne pas croire ne fait pas problème. Elle nous réunit tous, et c’est important de se le dire, sauf bien sûr les militants de l’Alliance que l’on interroge pas sur la liberté de ne pas croire, sur l’apostasie, pour ne pas les obliger à mentir.
- La liberté de culte ne fait pas problème non plus. Elle nous réunit tous,.. sauf bien sûr.. à mentir.

- C’est la liberté des pratiques qui fait problème et je vous suggère que l’on s’y arrête pour voir s’il faut prendre le débat publiquement très explicitement.

1. Pour les libéraux libertaires (les anglo-saxons à l’origine), la liberté de religion est la liberté de pratiquer sa religion et de la décliner dans l’espace social, c’est-à-dire de pouvoir la mettre en avant dans des situations sociales : demander un médecin de sa religion, une femme, un homme, etc.. Dans ce cas, ces sociétés libérales acceptent que les gens se comportent dans l’espace social en fonction de leurs lois religieuses. Ils acceptent de fait que la loi d’une religion soit protégée par la loi des hommes. Comme si la religion était l’équivalent d’une caractéristique physique comme la couleur de peau. Les libéraux tiennent plus qu’à la vie à la liberté d’entreprendre, et la liberté de pratiquer sa religion même sectaire en est une déclinaison logique. Les tribunaux sous charia se développent dans ces pays de liberté. Ceci amène désormais les syndicats, qui sont passés avec armes et bagage à la liberté libérale, à réclamer des salles de prière dans les entreprises au nom de la liberté de pratiquer sa religion partout. Et ceci au nom de la laïcité même, celle de Baubérot, avec la bénédiction de l’observatoire de la laïcité où les croyants sont à la manoeuvre (Choisis à cause de ça par Hollande). Ceci montre la force de l’évidence du courant libéral anglo-saxon (parisien ?)
Nota : il est très surprenant sur le plan de la logique, et J C Michéa en fait l’analyse, que la gauche soit le fer de lance de la liberté d’entreprendre dans le champ sociétal - le droit de faire ce que je veux n’est plus le droit mais sa fin - au risque de défaire le lien social, préparant ainsi son acceptation dans le champ économique sur lequel elle prétend lutter « tous ensemble ! tous ! » (?).

2. Pour la République laïque, il y a seulement la liberté d’avoir/ou pas une religion. La religion n’est pas une caractéristique physique mais une croyance comme une autre qui est reconnue comme toutes les autres, pas plus. Elle ne doit/devait plus avoir de privilèges particuliers. A cause de cela, il n’y a pas de liberté de pratiquer sa religion, au sens de la précellence de ses lois, dans tous les espaces mais seulement dans les lieux prévus à cet effet. Pourquoi ? D’abord parce qu’une religion peut avoir des prescriptions contraire aux principes universels,  ensuite parce qu’elles peuvent cliver l’espace dans des enjeux de territoires et de pouvoir (on a payé le prix des guerres de religions), enfin parce que la République laïque ne renonce pas à faire société malgré le prix de la contrainte. Et c’est cela je crois qui pose problème aux jeunes générations notamment de gauche : la contrainte. Vous vérifierez : dans nos sociétés dites occidentales, plus les gens sont contraints dans les entreprises, ou contraignent les autres, et plus ils réclament la liberté de faire ce qu’ils veulent … à l’extérieur ! Non mais. En plus y’a des applications pour ça. 
Des religions peuvent interdire de manger de la vache mais autoriser à tuer des hommes, à frapper des femmes et bannir des homosexuels etc.. Parce qu’on ne pas faire le tri dans ce qui est acceptable ou pas, la République laïque a tranché : la loi des hommes a la précellence en toute circonstances, y compris dans les lieux de cultes où il est interdit de faire de la politique, y compris chez soi où les services sociaux peuvent intervenir. Loi des hommes qui ne doit s’autoriser, dans un objectif de concorde, que de la raison, de la logique, de la science, du plus probable, et jamais de la croyance que l’on taxera alors d’obscurantisme, du sexe de la race etc… 

Il y a bien une liberté qui est interdite : celle de vivre selon sa religion quand une prescription implique un autre que soi. C’est-à-dire qu’une femme peut s’imposer de se baigner avec un burkini, la contrainte qu’elle se choisit librement au risque de se priver, elle ne peut pas en imposer la présence au nom de sa religion car ce serait un privilège suivant le lieu. La question de la nature publique de la piscine qui fait argument pour les soutiens de l’Alliance est une vraie question. Les naturistes ont  répondu à cette question : je ne suis pas libre de faire que je veux, il n’y a pas de privilège religieux, car ce lieu est soumis à règlement contrairement à la plage. Mais que c’est dur de renoncer au pouvoir quand on l’a eu si longtemps et sans partage.
Il est aussi un élément d’ordre psychologique : la souffrance est-elle un argument ? Pour la gauche compassionnelle c’est oui à l’évidence et elle fait un tri dont les critères sont obscurs. Pour un philosophe un psychologue c’est non logiquement. Pour un politique ? Pour vous ?

La religion n’est pas une couleur de peau, une caractéristique physique, et en restreindre les pratiques n’est pas du fascisme ou du racisme, c’est tenir compte de son caractère construit. Pb donc car elles sont révélées de leur point de vue. La liberté de culte, de croyance et de conscience, n’est pas la liberté de pratiquer sa religion tout le temps et en tout lieu quand ça implique un autre que soi.

Jacques Variengien (psychologue)

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