Enterre mon cœur à Wounded Knee


Enterre mon cœur à Wounded Knee

Dee Brown

La littérature exerce le pouvoir illusoire de faire revivre, le temps que tournent les pages, ceux qui ne méritaient pas d'être effacés de l'Histoire.
Dès lors, il est difficile de refermer LE livre des indiens d'Amérique sans les condamner à nouveau à l'oubli, sauf à reprendre inlassablement le chemin de leurs épreuves depuis toute la première ligne du tout premier chapitre.


D'Enterre mon cœur à Wounded Knee, se dégage le parfum souvent acre d'une authenticité à mille lieux de toute sorte de folklore et cette authenticité a fini par me prendre aux tripes. Car si on connait tous l'histoire des Indiens dans les grandes largeurs et le sort que le peuple des Blancs leur a infligé, en être le témoin impuissant durant les 20 ans que dure la chronique de cette "histoire américaine" est simplement, bouleversant.

Après avoir lu leur tragédie exposée sans fioriture, les témoignages, les comptes-rendus, la litanie des trahisons des uns contre la bonne volonté des autres, j'ai le sentiment de les avoir aimés, tous autant qu'ils étaient. Si j'ai parfois ri et souvent pleuré parmi eux, j'ai surtout le regret amer de ne rien pouvoir faire pour les sauver à nouveau, tous autant qu'ils étaient: Sitting Bull, Crazy Horse, Red Cloud, Cochise, Géronimo, Captain Jack, Standing Bear, Man Afraid of His Horses et chaque indien de de la plus petite des tribus.

Hors de question de tomber dans le panneau d'un angélisme bon teint. Loin de moi l'idée d'ethniciser la morale, de me blâmer par principe le dominant et de porter aux nus le dominé. Depuis toujours je me refuse au noir et blanc sans nuances même si en l'occurrence, il s'agit de rouges d'un côté et de blancs de l'autre. La vie des gens, celle des peuples, les histoires et l'Histoire qui en découlent ne sont jamais aussi tranchées. Dans ce livre ou chaque chapitre est une défaite de l'humanité, on trouvera des braves de chaque côté, des lâches aussi. A travers le périple désespéré et désespérant de chaque tribu, on découvrira souvent des hommes blancs devenus hommes de bien. Mais on se rend vite à l'évidence, à l'inéluctable. A chaque fois, ils seront balayés dans le même mouvement ravageur que ceux qu'ils auront voulu protéger.
M'efforçant de faire la part des choses, j'ai vite choisi mon camp, celui des Cheyennes ou des Apaches, celui de tribus pas si arriérées résistant contre la foi messianique des nouveaux arrivants toujours associés à la cupidité et au soi-disant progrès. Après l'ultime désastre, celui de Wounded Knee, j'ai laissé tel quel le livre sur ma table de chevet tant la proximité avec les indiens s'est installée.

A force de compassion, ils ont fini par prendre corps. Au bout de l'empathie, ils sont parvenus à imprimer l'âme.
Jadis, la liberté et avec elle, la terre et sur cette terre, les bisons, les forêts, les collines, les plaines, les rivières perdues des hautes vallées. Jadis, la liberté sous les sabots des mustangs foulant les neiges des montagnes sacrées. Jadis, des traces de pas dans les cendres de l'humanité.

"Enterre Mon Cœur à Wouded Knee" est bien plus qu'un livre témoignage, c'est la chance d'être emporté par une petite lumière qui vacille dans le noir.

On ne vend pas la terre sur laquelle marchent les hommes.
Tashunke Witko (Crazy Horse)





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