Barococo

BAROCOCO
Yü Nagashima

Éditions Philippe Picquier - 2009
Roman traduit du japonais par Marie Maurin

Ce roman a reçu le prix Kenzaburô (prix japonais,  on l'aura deviné)
   



   Si vous avez vu le film "Chicago", vous n'avez pas pu oublié ce pantin en gants blancs (l'excellent John C.Reilly) incapable de retenir la lumière, interprétant…


Cellophane, Mister cellophane
Should have been my name
Mister cellophane
'cause you can look right through me
Walk right by me
And never know I'm there!


    En tournant la dernière page de Barococo, ce refrain s'est aussitôt invité sous mon crâne. Rien de grave Docteur: derrière la chanson, il y a comme un bout d'explication.

    Car enfin, dans cette chronique de la (sur)vie d'un magasin d’antiquités tokyoïte, jamais n'apparaîtra le nom du narrateur, personnage pourtant central du livre. Mais contrairement au pauvre bougre cocufié de Chicago, la transparence de l’employé à tout faire du Barococo gagne en épaisseur au fil des semaines.

La permanence de son effacement agit comme un puissant révélateur auprès de ceux qui gravitent autour et à l'intérieur de ce "Barococo" plus bazar que magasin d'antiquités. Ainsi, une poignée de personnages vont voir leurs existences s’articuler autour de ce héro-malgré-lui.

    Il y a Mizue son alter-égo féminine, les deux petites filles du vénérable propriétaire M Yagi, Azako l'ainée, la cérébrale et Yûko la lycéenne intrépide. Même Mikio son patron finit par s'ouvrir à lui. Grâce à ce champion du monde de l'empathie, sorte de piège à confidences, tous nous deviennent très vite familiers, y compris Françoise une française japonisante et amatrice de sumo.

    Le talent de Yû Nagashima est de parvenir à nous faire partager durant 6 mois les (modestes) desseins de ses personnages. Avec lui nous intégrons l'intimité du Barococo par le petit bout d'une lorgnette aux couleurs parfois surréalistes comme peut l'être son attachement aux verts et aux rouges du feu pour piétons qui éclaire les fenêtres du premier étage. Il inscrit la vie en touches affleurantes, délicates, parfois douces-amères. Rassurez-vous,  en 254 pages on ne trouve pas trace de mièvrerie. Il s'attache aux détails jusqu'à l'insignifiant, et à force d'insignifiant, il touche à l'essentiel, aux cœurs, aux âmes.

    Il y a aussi cet humour décalé, un peu déjanté, un humour de looser capable se perdre dans son propre quartier. Mais avec lui la tendresse se mêle au burlesque et inversement. D'ailleurs avec Yû Nagashima il y a toujours la tendresse, un peu partout saupoudrée et on a le droit de se laisser avoir.
Barococo, comme un petit bijou de simplicité qui brille à l'intérieur.




Extrait page 175



J'ai gravi l'escalier du Barococo avec la boite contenant la brosse à dents électrique. Je suis retourné dans l'espace de six tatamis du premier étage où je vis en parasite. Je voulais faire immédiatement un essai. Je suis allé près du petit évier. J'ai pris ma vieille brosse à dents usée jusqu'à la corde, je l'ai jetée dans le sac-poubelle réservé aux déchets non combustibles, puis je me suis baissé et j'ai cherché la prise. J'avais à peine enfoncé la fiche que l'appareil s'est mis à vibrer, et j'ai un peu paniqué. Le bouton était sur « on ». Ce n'est pas une brosse à dents rechargeable, comme je l'avais déjà remarqué dans l'après-midi.
 
L'arrivée d'eau étant hors de service, j'ai versé le contenu de la bouilloire dans une tasse où j'ai trempé la brosse à dents. J'ai mis du dentifrice dessus et je l'ai rebranchée. Le dentifrice est tombé sur le sol, sans doute parce que les vibrations étaient trop fortes.
J'ai ramassé avec le doigt la pâte tombée sur les tatamis et, pendant un instant, j'ai hésité entre la remettre sur la brosse ou la jeter. Allez ! Je l'ai poussée telle quelle dans ma bouche, comme de la crème Chantilly, et j'ai remis en marche l'appareil. Une seconde avant que j'introduise la brosse dans ma bouche, on a frappé à la porte. La brosse à dents faisait tellement de bruit en vibrant que j'ai failli ne rien entendre.

 
Je me suis résigné à cracher dans l'évier le dentifrice encore intact que j'avais dans la bouche et quand j'ai ouvert la porte, j'ai vu Yûko. Elle portait la même tenue que dans la journée, mais elle avait l'air plus tendue.
 
- Qu'est-ce qui se passe ?

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