Ceux qui plongent par Nathalie Bianco


A travers ces mots aussi justes qu'élégants, Nathalie Bianco, a su saisir ces moments imprudents de l'enfance, de ceux dont il ne faudrait jamais se séparer.

Dans chaque endroit où il y a du soleil et de l’eau, il y a des gamins qui plongent. J’ai toujours adoré les regarder. Dans chaque port, dans chaque étang, chaque eau, même polluée, même au milieu des flaques de gas-oil, on trouve les mêmes mômes en slips, libres et heureux de faire les cons. Parfois, un peu plus loin, il y a pourtant une piscine, une plage, propre, surveillée, où les baignades sont autorisées, mais c’est sans doute moins drôle. 

Je me souviens en particulier de ceux d’Ischia, au large de Naples, qui plongeaient dans le petit port. De temps en temps, ils se faisaient tancer par les plaisanciers, mécontents de les voir s’approcher trop près des bateaux. Alors, ils baissaient les yeux, prenaient un air coupable et s’éloignaient un instant de la jetée. Et puis, quand les adultes étaient retournés à leur indolence, ils prenaient leur élan et sautaient à l’eau. 

Vers chez moi, en été, des gamins plongent même dans le Rhône, depuis la passerelle. C’est dangereux parce qu’on ne sait jamais ce qu’il y a sous l’eau et qu’on risque de tomber sur un morceau de ferraille ou une souche d’arbre. 
Ils s’en foutent. Ils défient l’autorité en prenant appui sur le panneau rouillé « baignade interdite », ils enchaînent les pirouettes audacieuses, les plongeons gracieux, les bombes puissantes. Ils ne craignent rien, ils sont les maitres du Monde. Libres, heureux et insouciants. A l’heure de la sieste, leurs rires et leurs cris résonnent des deux côtés des berges du fleuve. De jeunes princes fous et indomptables, en caleçons bariolés.



D’aussi loin que je m’en souvienne, moi, je n’ai jamais été une gamine insouciante. Je me suis au contraire toujours tracassée pour beaucoup de choses : « Est-ce que c’est grave si j’ai perdu mon livre de maths ? Pourquoi tous mes poissons rouges finissent-ils par mourir ?  Est-ce que j’aurai des seins un jour comme les autres ? Et si oui, est-ce que ça fait mal quand on court ? Est-ce que c’est vrai que mentir donne l’appendicite ?  Pourquoi certains parents sont méchants avec leurs enfants ? Et s’ils ne poussaient jamais, mes seins ? » 
En vieillissant, j’ai encore eu mille occasions de m’inquiéter : Pour le travail, la santé, pour mes amours, pour mes enfants, pour l’argent, pour l’avenir. 
Les enfants grandissent et deviennent des adultes : Il y a les bons nageurs, les rapides, les forts, ceux qui ne doutent pas, ceux qui fendent l’eau avec détermination et devant qui les obstacles semblent s’écarter ; il y a les nageurs prudents, ceux qui se mouillent la nuque, s’immergent progressivement, ceux à qui, petits,  on a répété de faire attention, mais qui savaient qu’on ne les quitterait jamais du regard. Ceux-là nagent confiants, calmement, à leur rythme paisible. Et puis, il y a les inquiets, ceux qui n’ont jamais appris à nager, ceux qui barbotent timidement près des rives, ceux qui savent que personne ne viendra les chercher s’ils perdent pied, ceux qui craignent que le poids de leur histoire et de leurs tourments ne les leste et ne les entraine vers le fond.

Depuis toujours l’insouciance me fascine. Et rien ne la symbolise plus à mes yeux que ces gamins hilares, ruisselants et dorés qui, partout dans le monde, inondent les pontons de leurs rires et de leur joie insolente. Un sourire aux lèvres, je m’arrête toujours longuement pour les regarder. 

J’attends que, comme l’eau, l’insouciance finisse par m’éclabousser …

Nathalie Bianco
Ecrivaine



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